Auteur : Albert XANDRY
MESSAGE CEBI 2019
Anticiper c’est devancer, penser à l’avance, prévoir... Le titre semble suggérer que l’on connaît ce que doit être une église dans 10, 15 ou 30 ans et que l’on mette en œuvre les actions et moyens pour l’atteindre. Cela dit, on ne vit pas non plus l’église au jour le jour.
« Après moi le déluge ». Cette expression est attribuée, selon les sources, soit à Louis XV qui ne se souciait guère de ce que pourrait faire son dauphin après sa mort, ou à Madame de Pompadour. Certains font même remonter la source de l’expression plus loin encore. Quoi qu’il en soit, l’expression signifie que l’on se moque bien de ce qui pourrait arriver après soi, après son départ ou après sa mort.
Je crois pouvoir dire, sans me tromper, qu’une telle pensée n’habite pas les pasteurs ou les anciens au sujet de l’église dont ils ont la charge. En tous cas, cela n’était pas la pensée du Seigneur Jésus, si l’on en juge par sa prière en Jean 17. Il demande à son Père, dans une instante prière, de garder ses disciples et d’œuvrer à leur unité. Cela n’était pas non plus la pensée de l’apôtre Pierre ou de l’apôtre Paul qui déclarait :
« Mais j’aurai soin qu’après mon départ vous puissiez toujours vous souvenir de ces choses. » (2 Pi. 1.15)
« Je sais qu’il s’introduira parmi vous, après mon départ, des loups cruels qui n’épargneront pas le troupeau... » (Ac. 20.29)
Tous les deux avaient le souci de ce qui se passerait après leur départ. L’avenir de l’Église les préoccupait. Je propose quelques pistes.
1. Anticiper et préparer l’avenir, c’est donner priorité à la formation et pas simplement à l’information
En Actes 20.17-38 l’apôtre Paul rencontre à Milet les anciens de l’église d’Éphèse pour s’entretenir avec eux de l’avenir de cette assemblée. Il anticipe les problèmes à venir en rappelant aux anciens ce qu’il a fait durant les trois ans qu’il a passés avec eux.
Prêcher et enseigner
Ce que Paul leur rappelle, c’est la formation qu’il leur a apportée : « Vous savez que je n’ai rien caché de ce qui vous était utile, et que je n’ai pas craint de vous prêcher et de vous enseigner publiquement et dans les maisons, annonçant aux Juifs et aux Grecs la repentance envers Dieu et la foi en notre Seigneur Jésus-Christ. » (Ac. 20.20-21)
Il dit « prêcher et enseigner ». Le premier terme transmet l’idée de « dire, annoncer, déclarer ». Le second celui de « faire assimiler » : c’est le travail de l’enseignant.
Je dis donc que Paul a anticipé les temps à venir en ne se limitant pas à prêcher, mais aussi à enseigner, à former les personnes de manière à ce qu’elles marchent d’une manière digne de l’Évangile. C’est ce qu’il a fait à Éphèse.
Lisons ce que Paul dit aux anciens d’Éphèse : « Et maintenant voici, je sais que vous ne verrez plus mon visage, vous tous au milieu desquels j’ai passé en prêchant le royaume de Dieu. C’est pourquoi je vous déclare aujourd’hui que je suis pur du sang de vous tous, car je vous ai annoncé tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher. » (Ac. 20.27)
Il a enseigné d’une manière telle qu’il pouvait se dégager de toute responsabilité concernant leur devenir spirituel. L’enseignement qu’il a dispensé sur l’ensemble du conseil de Dieu lui permet de partir sereinement.
Public, privé, individuel
Remarquons qu’il a enseigné publiquement, dans les synagogues ou à l’école de Tyranus, mais aussi dans les maisons (il évoque d’ailleurs dans 1 Cor. 16.19 « Aquilas et Priscille », avec « l’église qui est dans leur maison »).
Mais il a aussi enseigné individuellement : « je n’ai cessé d’exhorter nuit et jour chacun de vous. » (v. 31)
L’apôtre ne s’est pas contenté des grands exposés magistraux, mais il a suivi les fidèles dans leurs maisons, et même seul à seul, pour faire pénétrer la vérité de l’Évangile, afin de les encourager.
La même pensée se trouve en Colossiens 1.28 : « c’est lui que nous annonçons, exhortant tout homme, et instruisant tout homme en toute sagesse, afin de présenter à Dieu tout homme, devenu parfait en Christ ».
Paul a donc offert une formation en dispensant tout le conseil de Dieu à tous et de toutes les manières possibles.
Comment on a favorisé et favorise-t-on encore cela à Saint-Denis ?
∎ Formation adaptée aux différents âges : la crèche (0-2 ans), classe des petits (2-6 ans), moyens (6-8 ans), grands (8-11 ans), les ados, les jeunes adultes, etc.. Nous avons voulu donner de l’importance à tous les âges.
∎ Étude biblique individuelle, cours biblique (VF le lundi).
∎ Séminaires programmes de lecture en communs (Le voyage du pèlerin).
∎ Retraites de dames, d’hommes.
Comment on a favorisé cela à Saint-Denis ?
∎ Formations de moniteurs
∎ Donner l’occasion de conduire une étude
∎ Faire confiance
2. Anticiper et préparer l’avenir, c’est transmettre une vision élevée de l’Église
On parle parfois des églises en disant : « Je vais à l’église du pasteur untel ». On se comprend quand on dit cela, mais peut-être que cela transmet une vision faible de l’église.
Paul dit aux anciens d’Éphèse : « Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Église du Seigneur, qu’il s’est acquise par son propre sang. » Ailleurs l’apôtre Pierre dit « Paissez le troupeau de Dieu » (1 Pi. 5.2).
Paul rappelle aux anciens que l’église n’est pas la leur, mais celle de Dieu : c’est apprendre à l’assemblée à voir l’église telle que l’Écriture la présente ; c’est ne pas embarquer l’église dans n’importe quel combat.
3. Anticiper et préparer l’avenir, c’est montrer soi-même l’exemple et pas simplement indiquer un exemple
« Vous savez de quelle manière, depuis le premier jour où je suis entré en Asie, je me suis sans cesse conduit avec vous. » (Ac. 20.18)
C’est sans doute le plus exigent dans le processus de formation. Nous pouvons toujours dire des choses, énoncer des principes, expliquer un texte biblique, réciter par cœur un verset, distribuer des traités… Et oublier que ce qui regarde un disciple, c’est la conduite.
1 Pierre 5.2-3 : « Paissez le troupeau de Dieu qui est sous votre garde, non par contrainte, mais volontairement, selon Dieu ; non pour un gain sordide, mais avec dévouement ; non comme dominant sur ceux qui vous sont échus en partage, mais en étant les modèles du troupeau. »
Si le Saint-Esprit insiste sur cette exemplarité, c’est que les brebis apprennent plus par l’exemple que par les mots. L’humilité, l’acceptation des épreuves, le contentement, le travail séculier (Ac. 20.35).
« ... mais nous avons voulu vous donner en nous-mêmes un modèle à imiter. » (2 Thess. 3.9)
En Actes 20.29 à 31, Paul avertit les anciens de l’église d’Éphèse des dangers à venir. Il ne dit pas simplement qu’il y aura des loups cruels, mais qu’ils parviendront à s’introduire dans le troupeau et qu’ils ne vont pas épargner le troupeau. Il s’élèvera du milieu même d’entre vous des faux enseignants.
L’antidote unique que Paul semble indiquer est une double vigilance « sur eux-mêmes et sur le troupeau » (v. 28) en se souvenant de son attitude durant trois ans (v. 31).
4. Anticiper et préparer l’avenir, c’est penser à déléguer autant que possible
Il y a de grands risques quand tout repose sur un seul homme. Il est nécessaire que les choses commencent avec un seul, mais il faut aussi vite que possible s’entourer et confier des tâches aux autres.
Souvenez-vous du conseil de Jethro à son gendre Moïse : « Le beau-père de Moïse lui dit : Ce que tu fais n’est pas bien. Tu t’épuiseras toi-même, et tu épuiseras ce peuple qui est avec toi ; car la chose est au-dessus de tes forces, tu ne pourras pas y suffire seul. » (Exo. 18.17-18)
C’est illusoire de croire qu’on suffira seul. Nous ne pouvons pas assurer toutes les études, toutes les classes de baptême, réparer les fuites du toit et déboucher les WC, etc..
Jéthro dit : « Tu t’épuiseras toi-même, et tu épuiseras ce peuple qui est avec toi ». Si Moïse s’écroule, le peuple s’écroulera avec lui, car tout repose sur lui. Le peuple peut aussi s’épuiser, car il sera fatigué d’attendre son tour. Le conseil de Jethro est donc de déléguer.
C’est quelque chose que nous avons essayé de faire à Saint-Denis. Dès que cela a été possible, nous avons travaillé en collège d’anciens et nous prenions les décisions ensemble. Puis, nous avons essayé d’impliquer les membres à différents niveaux. L’idée étant que tout puisse continuer à fonctionner, même si l’ancien référent est absent.
Dans l’épître aux Colossiens, on pourrait croire l’apôtre Paul esseulé dans sa cellule avec pour seule compagnie l’encre, la plume et le papyrus. Mais la lecture des derniers versets lève le voile sur les coulisses et nous permet de discerner toute une équipe à l’œuvre. Le ministère de Paul n’aurait pas été ce qu’il fut sans le travail fidèle de tous ceux et celles que le Seigneur a placés à ses côtés.
À travers les personnes citées, nous découvrons des indications utiles pour le développement, l’édification de l’Église :
∎ Thychique, Onésime (le ministère de communication)
∎ Aristarque, Marc et Justus (le ministère de consolation)
∎ Epaphras (le ministère d’intercession)
∎ Justus, dont on ne sait absolument rien sinon ce qui est écrit dans ce texte : « Il travaille avec moi pour le royaume de Dieu »
Ils ont œuvré avec Paul pour le royaume de Dieu. Ils n’ont pas œuvré contre lui, mais avec lui, en coulisse. Ils n’ont pas cherché à être au premier plan, mais à s’associer à l’œuvre de Dieu en étant un soutien pour Paul. Voilà ici ce qui doit nous motiver : le royaume de Dieu.
On raconte qu’un jour un contrat avait été signé pour ériger un grand bâtiment. Un jeune garçon se présenta pour tenter une embauche. Il était d’aspect pauvre et visiblement sans grande compétence. Alors, on lui confia un petit travail sur le chantier. Un jour un des chefs du chantier l’interpelle et lui dit : « Dis donc toi, que fais-tu ici ? Et le jeune garçon a répondu : ‘Ne savez-vous pas que je suis dans l’affaire ?’ ».
Il n’a pas convoité la place du chef de chantier, ni celle de l’ingénieur, et encore moins celle de l’architecte, mais il avait trouvé la grandeur de sa tache en considérant la grandeur du projet dans lequel il participait. Il était dans l’affaire.
Si nous considérons l’œuvre de Dieu et son royaume, nous pouvons dire, « je suis dans l’œuvre ». Que ce soit en exerçant l’hospitalité, en soutenant financièrement, par la prière, en tamponnant les traités, en faisant le taxi : « je suis dans l’œuvre ».
Certains sont aux premières loges, sous les feux de la rampe, mais ils sont efficaces dans leur ministère parce que d’autres tel un Aristarque, un Marc, un Justus ont été fidèles dans les coulisses avec pour seule ambition de travailler avec d’autres pour le royaume de Dieu.
On ne sait pas ce qu’ils ont fait, en quoi a consisté leur travail, mais on sait comment et dans quel but ils ont travaillé « avec Paul et pour le royaume de Dieu ».
Bien entendu, le Seigneur a donné des hommes qu’il a spécifiquement équipés, afin qu’ils en enseignent d’autres (les évangélistes, les pasteurs, les docteurs, etc.).
Mais les dispensateurs de cette formation ne s’arrêtent pas là. Priscille et Aquilas ont formé Apollos et il ne nous est pas dit qu’ils aient été docteurs ou pasteurs.
Certains de ceux qui se laissent solidement enseigner peuvent d’une certaine manière, à un moment ou un autre, être formateurs (classe du dimanche, culte de famille…).
5. Anticiper et préparer l’avenir, c’est favoriser la mémoire du message et non du messager
« Voilà pourquoi je prendrai soin de vous rappeler ces choses, bien que vous les sachiez et que vous soyez affermis dans la vérité présente. Et je regarde comme un devoir, aussi longtemps que je suis dans cette tente, de vous tenir en éveil par des avertissements, car je sais que je la quitterai subitement, ainsi que notre Seigneur Jésus-Christ me l’a fait connaître. Mais j’aurai soin qu’après mon départ vous puissiez toujours vous souvenir de ces choses. » (2 Pi. 1.12-15)
C’est ce que l’apôtre Pierre a eu soin de faire en préparent l’avenir, c’est de s’assurer que les croyants puissent se souvenir non de lui, mais de la parole prophétique et apostolique. Beaucoup d’hommes politiques veulent marquer leur époque et figer leur nom dans l’histoire de leur pays. Ils font beaucoup d’effort pour que leur mémoire demeure. En tant que pasteurs ou responsables d’église, nous pouvons être tentés de la sorte.
Il arrive qu’une assemblée batte de l’aile après le départ d’un pasteur, parce qu’il avait peut-être construit sur lui-même. Il y a des hommes pleins de charisme, à la personnalité attrayante, sachant jouer avec les émotions. Ce n’est pas mauvais d’avoir des atouts, mais il faut veiller que l’église ne se repose pas sur cela. Il faut agir, non pas pour qu’on se souvienne de moi, mais de Christ et du message de l’Évangile.
Il est normal qu’une assemblée s’attache à un pasteur. C’est quelque chose de naturel. Mais il faut veiller à ne pas être indispensable et savoir déléguer.