SOLIDAIRE OU SOLITAIRE
Auteur : Jamel ATTAR
La solidarité est le soutien réciproque entre personnes qui partagent leurs joies et leurs peines ; elle peut être résumée par la célèbre devise : « un pour tous, tous pour un ». Elle trouve son équivalent dans les mots grecs de la famille de koinonia, traduit par solidarité dans certaines versions. L’étude a été consacrée à l’emploi de ce terme dans le Nouveau Testament.
La communion fraternelle au sens courant n’est qu’un des aspects de la koinonia biblique. Habituellement traduit par communion et renvoyant à la communion fraternelle, le terme koinonia est employé dans la Bible pour signifier la générosité, l’action matérielle, le secours mutuel, la libéralité envers les croyants dans le besoin, le soutien missionnaire et pastoral, les offrandes, la participation aux souffrances des frères (Rom. 12.13 ; 1 Tim. 6.18; Phil. 4.15 ; Gal. 6.6 ; Apo. 1.9). La Koinonia est même signe de l’unité et de l’universalité de l’église (Rom. 15.26-27). Elle a le sens de : « Partager avec quelqu’un ou participer avec quelqu’un dans quelque chose qu’il possède. Avoir quelque chose en commun, qui appartient aux deux… ».
Cette koinonia-solidarité est justifiée d’abord par la koinonia en Dieu, qui est koinonia trinitaire et aussi koinonia avec nous. L’une des plus belles choses de la foi chrétienne est qu’elle s’enracine dans la vie de Dieu qui est, à la différence de toutes les autres divinités inventées par les humains, une unité plurielle. Et parce que le Dieu qui se révèle à nous est Trinité de personnes, unies dans l’essence divine, toute koinonia est fondée en la koinonia des personnes de la Trinité (Mt. 28.19). La contemplation de la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, communion de trois personnes dans la même et unique divinité, nous poussera à être moins solitaires et plus solidaires, ou plus koinonikoi… et moins monachikoi.
La communion de la Trinité est l’archétype de la communion des croyants avec Dieu et les uns avec les autres (1 Cor. 1.9 et Ac. 2.42). Dieu nous invite à la vie de la Trinité, par le baptême de l’Esprit dans lequel nous sommes morts et ressuscités avec Christ, par lequel nous sommes devenus membres du corps de Christ ( 1 Cor. 12.13). Cette communion a des dimensions verticales et horizontales. À travers le Christ dans le Saint-Esprit nous avons communion avec la Trinité et, parce que baptisés dans le même Christ, nous sommes tous membres les uns des autres. Donc koinonoi ou solidaires les uns des autres.
Un exemple de cette koinonia a été donné par Paul qui a organisé la collecte en faveur des chrétiens de Judée. Par cette collecte l’apôtre veillait à la sauvegarde d’une église unie. Et au-delà de cette koinonia matérielle, c’est la dimension spirituelle qu’il recherchait. Les païens sont invités à faire acte de koinonia, parce qu’ils ont bénéficié des bénédictions spirituelles des Juifs (Rom. 15.13). Et tout cela c’est pour conduire à l’adoration et à la reconnaissance tout le monde : « En considération de ce secours dont ils font l’expérience, ils glorifient Dieu de votre obéissance dans la profession de l’Évangile de Christ, et de la libéralité de vos dons envers eux et envers tous » (2 Cor. 9.13).
Le survol de l’emploi de koinonia et des mots de la même famille nous permet de trouver dans la Bible un appui solide quant à la solidarité à laquelle nous sommes appelés. Solidarité qu’il ne faut pas réduire, comme c’est le cas souvent, à un simple acte de soutien, mais qu’il faut ouvrir à son vrai sens. Car le mot koinonia-solidarité est un des mots les plus riches et profonds utilisés par les apôtres pour caractériser notre relation à Dieu et aux autres, proclamée dans la célébration de la Cène.
Notre conviction d’une ecclésiologie congrégationaliste met tout de suite en tension les réalités koinonia et solitarisme, solidaire et solitaire. Mais le congrégationalisme cherche à affirmer d’abord et surtout l’immédiateté de la présence de Christ, ou la souveraineté immédiate de Christ sur son Église. Ce n’était pas pour affirmer l’autonomie ou le solitarisme de l’église locale. Tout en affirmant le congrégationalisme, on affirmait la koinonia des églises et leur solidarité… La présence de Christ par son Esprit en toute église locale relie précisément ces églises les unes aux autres. Il est donc nécessaire d’établir des liens forts entre elles. Il est évident en effet que notre vocation chrétienne s’accomplit dans une vie de koinonia et d’abord avec Dieu et nécessairement ensuite avec les autres.
Les mots de la famille de koinon- présentent l’église comme une communauté de personnes qui entrent dans une relation spirituelle avec Dieu et avec les autres par l’Esprit (Ac. 2. 42 ; 1 Cor. 1.9 ; 2 Cor. 13.13). Parce que membres participant ensemble à la même foi et au même Esprit, parce que coparticipants aux mêmes bénédictions apportées par l’Évangile, nos relations se déploient dans plusieurs directions : le partage des biens, l’entraide et le soutien dans la détresse, la participation à la vie de Dieu. Dans ce sens la koinonia se comprend comme une vraie solidarité, qui ne laisse pas de place à l’isolement et au repli.